Nul ne l’ignore : depuis le 1er janvier 2022, suite à l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021, les privilèges spéciaux immobiliers transformés en hypothèques légales spéciales perdent leur rétroactivité.
Seuls, les actes authentiques de vente signés avant le 1er janvier 2022, permettent encore, aux sûretés légales devenues aujourd’hui des hypothèques légales spéciales, d’avoir un effet rétroactif et ce, même si l’acte de vente est publié après le 1er janvier 2022 (article 37 IV de l’ordonnance).
Une fois ce principe posé, l’heure est à la réflexion.
Les hypothèques légales spéciales de l’article 2402 du Code civil prennent rang, selon l’article 2418 du Code civil, à compter de leurs inscriptions ; étant entendu que seul est dispensé d’inscription, l’ancien privilège du syndicat des copropriétaires devenu lui aussi une hypothèque légale spéciale (art. 2402 (4) du Code civil ).
Mais, l’hypothèque légale spéciale du vendeur prime celle du prêteur de deniers lorsqu’elles sont inscrites de manière simultanée (art. 2418 al.5 du Code civil).
Ainsi, les hypothèques légales spéciales ne prendront plus rang à la date de la naissance de la créance.
Leur rétroactivité est devenue lettre morte alors qu’elle trouvait sa justification, notamment pour les privilèges les plus courants, en la protection du vendeur, du copartageant et du créancier subrogé, le plus souvent, au vendeur.
La rétroactivité permettait aussi de manière plus prosaïque de conserver le rang de l’inscription face à un rejet ou un refus du service de la publicité foncière.
Ainsi, la perte du rang de cette inscription n’était pas de mise.
Il suffisait de faire un acte rectificatif puis, de déposer à nouveau le bordereau d’inscription et ce, dans le délai légal de deux mois à compter de la signature de l’acte de vente, pour bénéficier de la rétroactivité.
Depuis le 1er janvier 2022, le moindre refus de la part de la publicité foncière afférent à une hypothèque légale spéciale, retardera d’autant son inscription.
Il existe donc, de prime abord, un risque non négligeable : celui que d’autres inscriptions soient prises après la publication de l’acte et avant celle de l’hypothèque légale spéciale.
Ces inscriptions pourront être du chef de l’acquéreur !
Il ne s’agit donc pas ici des prises d’inscriptions intercalaires du chef du vendeur entre la signature de l’acte et sa publication.
On le constate, l’hypothèque légale spéciale dépourvue de rétroactivité peut perdre, de fait, son premier rang…
Il est vrai, la cession d’antériorité aura la faculté de le lui faire retrouver (art. 2473 al.2 du Code civil). Mais, elle suppose, un accord entre les différents créanciers inscrits, dont la négociation, n’est ni certaine, ni aisée.
La disparition de la rétroactivité pourrait être lourde de conséquences dans nos financements : elle n’assure plus l’inscription de l’hypothèque légale spéciale de concert avec la publication de l’acte de vente.
Toutefois, lorsqu’un seul notaire interviendra à l’acte, en sa qualité de rédacteur de l’acte de vente et du prêt, l’inscription et la publication seront aisément réalisées le même jour.
Dans cette hypothèse, l’absence de rétroactivité n’a pas réellement d’incidences par rapport à la pratique antérieure.
Mais qu’en est-il lorsque plusieurs notaires interviendront à l’acte ? Comment organiser la publication simultanée de l’acte de vente et de l’inscription de l’hypothèque légale spéciale ?
La sécurité juridique des financements des plus courants aux plus complexes, dépend de la réponse pratique à cette question.
Lorsque les privilèges étaient rétroactifs, le notaire rédacteur de l’acte de prêt pouvait procéder aux formalités afférentes au privilège du prêteur de deniers sans se soucier de la date de la publication de l’acte de vente.
Si le notaire rédacteur avait déjà publié l’acte de vente, la rétroactivité du privilège permettait d’assurer à son bénéficiaire une inscription de premier rang.
Aujourd’hui, rien n’est moins sûr.
Il nous appartient de proposer des solutions aux différents créanciers bénéficiaires de ces hypothèques légales spéciales pour privilégier une inscription de premier rang et donc, en théorie, sans délai à compter du jour où l’acte de vente est publié.
Une inscription sans délai est une vision de l’esprit face à l’intervention de notaires en participation.
Dès lors, en notre qualité de rédacteur d’acte, il nous suffit d’organiser, en amont, une inscription de l’hypothèque légale spéciale et une publication de l’acte concomitante.
Ne nous est-il pas possible, par une clause insérée dans l’acte de vente, de fixer la compétence d’un des notaires intervenant à l’acte et de lui donner mandat pour déposer les différents bordereaux d’inscription et de publication ?
Cette solution conventionnelle a le mérite de la simplicité et de la clarté : l’inscription et la publication de l’acte de vente sont réalisés simultanément, alors même, que plusieurs notaires interviennent.
Il serait d’ailleurs logique que cette mission appartienne au notaire rédacteur de l’acte.
A défaut, les services de formalités auront bien du mal à se coordonner pour réaliser les inscriptions et publications de manière simultanées.
Ainsi, si l’acte de vente est publié par un notaire et l’hypothèque légale inscrite par un autre, il est délicat d’en assurer la concomitance.
Une telle méthode est périlleuse : de fait, il n’est plus alors certain que le créancier bénéficiaire de l’hypothèque légale spéciale vienne en premier rang.
Ainsi, dès lors que l’acte de vente est publié, une autre inscription peut grever le bien et en l’absence de rétroactivité l’hypothèque légale spéciale perd son rang.
Donner conventionnellement compétence à un seul notaire pour procéder à l’inscription et à la publication de l’acte de vente est une solution.
Les conventions de rang hypothécaire sont aussi en mesure d’y trouver un nouvel avenir : ne pourraient-elles pas devenir un outil permettant, s’il s’avère un incident lors du dépôt de l’inscription de l’hypothèque légale spéciale au service de la publicité foncière, d’assurer aux créanciers le rang voulu?
Cette question mérite d’être posée face à l’absence de rétroactivité des hypothèques légales spéciales et, notamment, dans nos dossiers de financement dotés de plusieurs créanciers.
La disparition de la rétroactivité des privilèges n’est donc pas seulement la fin d’un principe ancestral. Elle peut être un danger réel pour les créanciers.
Nous nous devons de proposer des solutions alternatives permettant de conserver le rang des créanciers au plus près de la date de la publication de l’acte de vente.